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Raymond WEILL (1874-1950) |
Allocution prononcée à l'Assemblée générale de la Société française d'Égyptologie par Jacques VANDIER et reproduite dans la Revue d'Égyptologie 8, 1951, p. I-VI
« Cette séance de rentrée est aussi, pour nous, une séance de deuil. Déjà, l'année dernière, à notre Assemblée générale, j'avais dû occuper la place où nous avions l'habitude de voir Raymond Weill mais nous avions eu, ce jour-là, la joie de voir notre Président se mêler à nous et participer à nos travaux. C'était là un gros effort qu'il avait tenu à faire, si grand était l'intérêt qu'il prenait à nos réunions. Mais la maladie dont il souffrait déjà a été plus forte que lui, et, le 13 juillet, la Société française d'Égyptologie a eu la douleur de perdre son Président. Les quelques mots que je vais prononcer aujourd'hui, si indignes soient-ils de celui qu'ils évoquent, ne sont pas seulement l'hommage qu'un ami rend à son maître disparu, mais aussi le témoignage de l'affectueuse admiration que nous éprouvions tous pour celui qui nous a quittés.
Raymond Weill est né à Elbeuf, le 28 janvier 1874. Après avoir fait ses études secondaires au Lycée de Rouen, il prépara, à Paris, au Lycée Saint-Louis, l'École Polytechnique. Il y fut reçu en 1892, et en sortit sous-lieutenant du Génie en 1894. En 1902, étant capitaine du Génie, il quitta l'armée pour se consacrer entièrement à des études qui l'attiraient depuis longtemps. Raymond Weill, en effet, avait toujours été curieux de l'histoire de l'ancien Orient, et, plus spécialement peut-être, de l'histoire d'Égypte. Jusqu'à la fin de sa vie, il devait garder cette double curiosité, et, s'il réserva à l'égyptologie, la majeure partie de son temps, il ne devait jamais oublier qu'on ne peut vraiment connaître l'Égypte qu'en la replaçant dans son cadre géographique naturel. N'y a-t-il pas, dans toute civilisation, un mélange d'influences, et ce mélange ne devient-il pas de plus en plus complexe à mesure que cette civilisation évolue elle-même ? Avec courage, Raymond Weill, bien qu'il eût déjà 30 ans, se remit à l'étude, et, deux ans plus tard, sortait diplômé de la Section des Sciences historiques et philologiques de l'École pratique des Hautes Études, avec une thèse intitulée : Recueil des inscriptions égyptiennes du Sinai".
L'année suivante, il partit pour l'Égypte, et fit ses premières armes dans l'archéologie militante sous la direction de Flinders Petrie. Avec lui, il parcourut la région du Sinaï, et apprit son métier de fouilleur en explorant différentes localités égyptiennes de la péninsule. Revenu à Paris, il travailla activement à sa thèse de doctorat qu'il soutint brillamment en 1908. Suivant une méthode qui lui fut chère pendant toute sa carrière, Raymond Weill, dans cet ouvrage, s'efforça de réunir tous les documents contemporains, connus à l'époque, en donnant, à propos de chacun de ces monuments, une bibliographie complète. L'histoire, d'après lui, s'écrit, non pas en utilisant des récits postérieurs qui, le plus souvent, manquent d'objectivité, mais en essayant d'interpréter les monuments, si modestes qu'ils aient été, de l'époque que l'on désire étudier. Sa thèse principale était consacrée aux Monuments et à l'histoire des IIe et IIIe dynasties égyptiennes. Le sujet était encore bien mal connu. Grâce à saméthode objective, appliquée avec une conscience et une honnêteté admirables,Raymond Weill publia un ouvrage magistral qui fait encore autorité aujourd'hui.Par la suite, il continua de s'intéresser aux origines de l'Égypte, et il a laissé le manuscritd'un gros volume qui, dans sa pensée, devait être le complément du premierouvrage important qu'il avait publié.
En 1913, il abandonna provisoirement l'Égypte pour rechercher en Palestine, la nécropole royale de la Cité de David. La campagne, subventionnée par le baron Edmond de Rotschild, fut couronnée de succès, puisqu' elle permit de retrouver une large portion de l'acropole cananéenne et plusieurs des tombeaux royaux.
Son activité militaire, toutefois, ne l'avait pas obligé à abandonner complètement des études égyptologiques et, dès 1918, il faisait paraître une énorme monographie sur La fin du Moyen Empire. Ce sujet, auquel il travaillait depuis 1910, et dont il avait donné de larges extraits au Journal asiatique entre 1910 et 1917, ne devait jamais cesser de le préoccuper. Il le reprenait avec joie, chaque fois qu'un document nouveau était mis au jour ; il y était même revenu, bien peu de temps avant sa mort, et on peut affirmer qu'aucun monument, appartenant à cette époque obscure, n'avait échappé à son infatigable curiosité. Certes, dans les théories qu'il a soutenues, il a heurté bien des convictions, mais il a toujours montré, dans les opinions qu'il a émises, un courage et un souci du détail auxquels il convient de rendre un éclatant hommage. Qui dira la part que lui doivent ceux-là mêmes qui ont exposé, sur les idées qu'il a soutenues, des opinions différentes? Je suis certain, en tout cas, que son livre sur la fin du Moyen Empire restera longtemps le point de départ de toutes les études qui seront consacrées à ce sujet, et qu'il aura, pour la plupart, inspirées.
Peu de temps après son retour en France, en 1919, il fut nommé Directeur d'Études à la Section des Sciences historiques et philologiques de l'École pratique des Hautes Études. Il retrouvait là, mais comme professeur, l'École qu'il avait fréquentée comme élève, entre 1902 et 1904. Désormais, il allait se consacrer presque exclusivement à l’enseignement Il aimait, d'ailleurs, le contact direct avec le public. C' était, pour lui, l'occasion de faire connaître cette civilisation égyptienne qu'il avait aimée au point de tout lui sacrifier. Il savait aussi varier son talent et s'adapter à ses différents auditoires. En plus de ses cours à l'École des Hautes Études, il fut chargé, à partir de 1938, du cours d'histoire ancienne de l'Orient à la Faculté des Lettres de Paris, et, chaque année, il faisait, en outre, des communications remarquées à la Société asiatique, dont il fut un des membres les plus actifs, à la Société française d'Égyptologie, dont il fut un des fondateurs, et à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Raymond Weill nous laisse un bel exemple de courage et de confiance. Ces qualités, il les manifesta sur les champs de bataille, mais aussi dans sa vie scientifique, car jamais la crainte de la critique ne lui fit renoncer à une opinion qu'il croyait fondée. Ces qualités, il les manifesta également pendant l'occupation, puis, à la fin de sa vie, quand, se sentant gravement atteint, il sut garder toute sa sérénité, et sourire à un avenir qu'il se refusait à voir sombre. Jamais il ne s'est plaint, jamais il n'a renoncé à un projet, comme s'il voulait, par son attitude, donner confiance aux êtres chers qui l'entouraient. Mme Weill, qui est parmi nous aujourd'hui, et qui a témoigné, dans l'épreuve cruelle qui l'a frappée, d'un courage égal à celui de son mari, sait l'affection que nous avions tous pour notre Président, mais je tiens, en terminant, à lui dire, au nom de tous, combien nous avons admiré, chez lui, la force dans l'épreuve, le sourire dans la souffrance et la confiance dans une vie, à laquelle seule l'affection des siens, et c'est beaucoup, je le sais, apportait encore un peu de lumière. »